un grand trou dans le ciel
Re: un grand trou dans le ciel
Je parlais en effet du souvenir, plutôt que de ce qui s'engrange dans le corps. Or se souvenir d'un "événement", n'est-ce pas en fait, dans presque tous les cas, construire un récit, c'est-à-dire une réduction, un fantasme, une projection ?
Re: un grand trou dans le ciel
Oui ! La reconstruction d'un récit, c'est précisément le symptôme d'un ego qui ne veut pas mourir, pour laisser la place à celui qui vient maintenant.
Cette remarque m'incite à revenir sur le propos de Marion : "je suis un corps", "je suis une pensée"... Certes, mais à cette précision près : il n'y a pas de "je". Plus exactement, ce "je" n'est pas une sorte de substance à qui appartiendrait, ou même qui serait un corps ou des pensées. Plutôt ceci : il y a apparition d'un corps, dont les pensées sont l'une des manifestations, apparition qui se reproduit à chaque instant, du moins tant que je suis vivant, mais qui ne disparaît pas aussitôt, ni complètement à l'instant suivant, qui ne s'estompe que progressivement, car, disais-je, il possède une certaine "inertie" qui le maintient un certain temps dans la durée. C'est précisément la raison pour laquelle on peut me reconnaître demain si on m'a connu aujourd'hui...
Disons que le "je" n'est pas autre chose que ce corps complexe, à la fois, et dans des proportions perpétuellement variables, matière et esprit, dont chacune des parties, chacun des "agrégats" manifeste divers degrés d'inertie, ce qui les fait persister plus ou moins longtemps dans l'existence. ? Et ne pas perdre de vue que, entre matérialité et inertie, le rapport est souvent inverse : il y a des pensées qui s'accrochent à l'existence plus que des cellules du corps, plus encore, parfois, que le corps lui-même ! Sans doute s'expliquent ainsi les phénomènes de revenants, et autres histoires de fantômes...
Cette remarque m'incite à revenir sur le propos de Marion : "je suis un corps", "je suis une pensée"... Certes, mais à cette précision près : il n'y a pas de "je". Plus exactement, ce "je" n'est pas une sorte de substance à qui appartiendrait, ou même qui serait un corps ou des pensées. Plutôt ceci : il y a apparition d'un corps, dont les pensées sont l'une des manifestations, apparition qui se reproduit à chaque instant, du moins tant que je suis vivant, mais qui ne disparaît pas aussitôt, ni complètement à l'instant suivant, qui ne s'estompe que progressivement, car, disais-je, il possède une certaine "inertie" qui le maintient un certain temps dans la durée. C'est précisément la raison pour laquelle on peut me reconnaître demain si on m'a connu aujourd'hui...
Disons que le "je" n'est pas autre chose que ce corps complexe, à la fois, et dans des proportions perpétuellement variables, matière et esprit, dont chacune des parties, chacun des "agrégats" manifeste divers degrés d'inertie, ce qui les fait persister plus ou moins longtemps dans l'existence. ? Et ne pas perdre de vue que, entre matérialité et inertie, le rapport est souvent inverse : il y a des pensées qui s'accrochent à l'existence plus que des cellules du corps, plus encore, parfois, que le corps lui-même ! Sans doute s'expliquent ainsi les phénomènes de revenants, et autres histoires de fantômes...
Re: un grand trou dans le ciel
Et qu'en est-il de ce que ce "je" fait, pense, perçoit ? J'imagine, comme formulation approximative et provisoire, un modèle quoi, quelque chose comme : il y a un premier geste mental, qui est celui du "je suis" (cf. Nisargadata), et qui pose ainsi tout ce qui parvient à notre conscience comme un objet ; ensuite (mais ce n'est pas chronologique, c'est tout le temps, hors temps), tout ce qui parvient à notre conscience est passé dans ce moule, ce schéma mental, moi - et le reste, le corps, le monde...
Re: un grand trou dans le ciel
bonjour ... le corps physique, anatomique n'est pas notre ( seul ) corps : c'est l'éducation, le conditionnement, qui sont à l'origine de cette illusion. La différenciation mon corps / le monde, l'intérieur / l'extérieur, n'est pas une perception innée, c'est un construit, un acquis. Les ethnologues ont déjà montré que certaines ethnies ne voyaient pas, ne vivaient pas cette séparation, qui n'est qu'une donnée culturelle, qui nous donne à voir et à sentir ainsi puisque nos schémas mentaux, notre structuration propre du réel, délimitent et conditionnent notre perception des choses. Comme l'explique très bien Douglas Harding, nous "avons" aussi un corps terrestre ( la pelouse, la rivière, les montagnes ) et un corps céleste ( l'univers autour de nous ). En fait, plus simplement, cette évidence : il n'y a rien de séparé ... il n'y a qu'un atome qui est, comme le disait Theillard de Chardin, tout l'univers. Personne ne peut dire, au niveau atomique, où commencerait et où finirait tel ou tel objet; à cette échelle tout s'interpénètre, de la même manière que tout est en échange permanent, comme le corps anatomique qui à chaque instant se constitue de la nourriture, de l'eau et de l'air, des rayonnements qu'il s'approprie et rejette sans cesse ... La bonne question est donc : comment en sommes-nous venus à croire ( et par conséquent à sentir ) que nous nous limitons au corps physique ?!.
Re: un grand trou dans le ciel
Oui, cher Émair, le "je suis", lorsqu'il est effectivement vécu, "inclut" tout objet, intériorise toute extériorité. C'est pourquoi ce "je suis" de Nisargadata n'a rien à voir avec celui de Descartes, qui est au contraire conscience de soi, "je" qui se retourne sur lui-même et se contemple dans son propre miroir...
Certes, il n'a rien de séparé ici-bas, et tout s'interpénètre... D'où vient alors que nous ressentions, de manière profonde, quasiment organique, cette séparation radicale entre notre corps et le reste de l'univers ? Est-ce culturel ? En partie seulement. L'expérience la plus courante en effet, est que je peux agir directement sur mon corps, en levant le bras par exemple, et que je ne peux agir qu'indirectement, précisément par l'intermédiaire de mon corps, sur tout autre être ou objet du monde. L'expérience la plus courante, c'est que, lorsque la tasse que je tiens entre mes mains se brise, je sens très différemment la douleur dans la main blessée que dans la tasse brisée... Après, bien sûr, et c'est au fond une question de sensibilité, on peut avoir mal à la tasse autant qu'à la main... Déjà en tout cas, je peux souffrir de la souffrance d'autrui, ou être joyeux de sa joie. Quand je fais l'amour, ce peut être le plaisir qu'éprouve mon (ma) partenaire qui me donne du plaisir... La "compassion", dans son vrai sens, est cette sensibilité à ce qui est extérieur au corps, à commencer par autrui, qui est, en quelque sorte, l'extérieur le plus proche de notre intérieur.
Ce qui serait un peu bizarre, voire un tantinet pathologique, en tout cas dans nos cultures, ce serait d'être triste de la tasse cassée plus que d'autrui malheureux, ou d'être joyeux de la tasse bien nettoyée plus que d'autrui heureux. A moins, peut-être, que ma tasse ne soit une sorte d'"objet de pouvoir", dans le sens que Catagneda donne à ce terme... (Dans le livre, il y a un chapitre sur "mon corps", qui évoque un peu tout cela).
Certes, il n'a rien de séparé ici-bas, et tout s'interpénètre... D'où vient alors que nous ressentions, de manière profonde, quasiment organique, cette séparation radicale entre notre corps et le reste de l'univers ? Est-ce culturel ? En partie seulement. L'expérience la plus courante en effet, est que je peux agir directement sur mon corps, en levant le bras par exemple, et que je ne peux agir qu'indirectement, précisément par l'intermédiaire de mon corps, sur tout autre être ou objet du monde. L'expérience la plus courante, c'est que, lorsque la tasse que je tiens entre mes mains se brise, je sens très différemment la douleur dans la main blessée que dans la tasse brisée... Après, bien sûr, et c'est au fond une question de sensibilité, on peut avoir mal à la tasse autant qu'à la main... Déjà en tout cas, je peux souffrir de la souffrance d'autrui, ou être joyeux de sa joie. Quand je fais l'amour, ce peut être le plaisir qu'éprouve mon (ma) partenaire qui me donne du plaisir... La "compassion", dans son vrai sens, est cette sensibilité à ce qui est extérieur au corps, à commencer par autrui, qui est, en quelque sorte, l'extérieur le plus proche de notre intérieur.
Ce qui serait un peu bizarre, voire un tantinet pathologique, en tout cas dans nos cultures, ce serait d'être triste de la tasse cassée plus que d'autrui malheureux, ou d'être joyeux de la tasse bien nettoyée plus que d'autrui heureux. A moins, peut-être, que ma tasse ne soit une sorte d'"objet de pouvoir", dans le sens que Catagneda donne à ce terme... (Dans le livre, il y a un chapitre sur "mon corps", qui évoque un peu tout cela).
Re: un grand trou dans le ciel
Dès que je me pense moi-même, c'est, dirais-tu, la dualité qui fonctionne, il y a une réification, qui institue un pseudo-sujet en faisant jouer un pseudo-objet : je me vois, ou je me pense... Je suppose qu'on pourrait dire qu'il n'y a, dans la réalité, que le Sujet. Dans la préface à la Voie Négative :"la connaissance est un leurre, parce qu'elle porte nécessairement sur un objet, et que si la vérité est un objet, elle se nie en excluant d'elle-même le sujet qui l'appréhende, et, si elle n'en est pas un, il n'y a aucun moyen de la connaître objectivement".[/i]
Re: un grand trou dans le ciel
Oui, tout à fait, la vraie connaissance est fusion, indifférenciation du connaissant et du connu, qui deviennent, c'est une façon de le dire en effet, le "Sujet", avec un S majuscule. La vraie connaissance est amour. L'intelligence "relie", certes, c'est en effet son sens étymologique, mais elle relie deux choses qui restent sinon séparées, du moins distinctes. C'est pourquoi il est dit aussi (Lanza del Vasto l'écrivait quelque part) que l'amour seul entre dans le Jardin, alors que l'intelligence, ou la pensée, restent à la porte.