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Socrate malheureux

Posté : jeu. déc. 29, 2011 9:20 am
par viator
"Il vaut mieux être un homme mécontent qu'un pourceau satisfait, un Socrate malheureux plutôt qu'un imbécile heureux", disait le philosophe John Stuart Mill.

...Mais a-t-on le choix entre le rôle de Socrate et celui du pourceau ? À vrai dire, être ici-bas dans la peau de l'un ou de l'autre n'a aucune importance. Socrate n'a pas plus de dignité qu'un pourceau, ni que le moindre brin d'herbe. Dans le théâtre du monde, chacun est à sa place là où il est, quel qu'il soit et où qu'il soit.

Il vaut mieux par contre - c'est plus agréable à vivre - il vaut mieux être heureux. Comment faire pour y parvenir ? Il me suffit tout simplement de prendre conscience que je le suis. Mon seul malheur, c'est de ne pas savoir que, depuis toujours, je suis heureux.

Re: Socrate malheureux

Posté : ven. déc. 30, 2011 5:51 pm
par marion
Quelle définition donnes-tu pour l'adjectif "heureux", cher Viator ?
Si tu explicites ce que tu entends par "être heureux", cela me permettra peut-être de mieux comprendre ta dernière phrase, que je trouve remplie de mystère.

Re: Socrate malheureux

Posté : lun. janv. 02, 2012 8:56 am
par viator
Oui, c?est une très bonne question, chère Marion !

...Cette phrase remplie de mystère signifie simplement que le bonheur n?est pas ailleurs qu?en moi, qu?il n?est pas à rechercher autre part. Je n?ai besoin de rien d?extérieur à moi-même pour être heureux, et c?est pourquoi je suis heureux pour rien, à cause de rien ? ce que certaines traditions évoquent en parlant de la « joie sans objet » (c?est aussi le titre d?un livre de Jean Klein). C?est pourquoi ce bonheur qui est partie de ma propre substance n?est pas quelque chose que je possède, que je pourrais donc perdre, mais quelque chose que je suis.

La question, évidemment, est de comprendre pourquoi je ne le sens pas toujours comme ça, pourquoi, à certains moments tout au moins, je me sens malheureux. Comment retrouver ce goût du bonheur (ou encore, de l?amour, de Dieu...), ce bonheur qui n?est pas ailleurs qu?au plus profond de moi-même, qui n?est pas à un autre moment que maintenant ? (Le coffre au trésor que vous cherchez vainement un peu partout autour de vous, disait Thierry Vissac, vous êtes assis dessus...)

Dans un grand nombre de traditions, on conseille d?écouter son propre corps. D?écouter l?état de son corps, ou bien ses mouvements, son fonctionnement. Le yoga, la méditation (Vipassana par exemple, le « sourire intérieur » de Mantak Chia, les méditations pratiquées dans les groupes Gurdjieff...), mais aussi le Tai Chi ou la calligraphie, sont ainsi des techniques qui mettent en place cette écoute du corps, cette attention portée sur son placement, ses mouvements, son équilibre, ou son fonctionnement interne. Et cette écoute permet, avec un tout petit peu de pratique, de l?entendre très clairement distiller son bonheur de vivre, son bonheur d?être. C?est l?un des chemins les plus directs qui m?ai été donné d?expérimenter pour retrouver ce bonheur.

Re: Socrate malheureux

Posté : lun. janv. 02, 2012 5:34 pm
par domino
Tout cela est bien joli, mais... est-ce que ce bonheur de vivre, ou ce bonheur d?être, le corps le distille aussi lorsqu?il est malade, ou lorsqu?il souffre ?

Re: Socrate malheureux

Posté : mar. janv. 03, 2012 7:08 am
par viator
La maladie est juste un autre régime du corps, cher Domino. Si je l?observe tranquillement, c?est à dire sans préjugé, sans appréhension, j?entendrai ce que le corps me demande : le plus souvent un peu de repos, un peu de chaleur. La cas échéant, un bon médecin...

La douleur ne nécessite pas une approche fondamentalement différente. Bien sûr la douleur est désagréable ? elle est incompatible avec le plaisir, mais pas nécessairement avec la joie. Le meilleur moyen de l?apaiser est encore de l?accueillir ; c?est assez facile lorsqu?elle n?est pas trop envahissante. Si ce n?est pas le cas, rien ne m?empêche de prendre des analgésiques ? toujours, il suffit d?écouter ce que mon corps me demande. Lorsque la douleur devient vraiment insupportable, le corps s?échappe et s?évanouit. Au pire, il meurt. Le bonheur, ou la joie, est d?un autre ordre, et les désagréments, aussi perturbants soient-ils, n?en effleurent jamais la source vive, et laissent intacte sa racine.

Re: Socrate malheureux

Posté : sam. janv. 14, 2012 7:29 pm
par marion
Tout cela est bien joli, dirai-je comme Domino...
Si je ne pratique pas le yoga, la méditation, le tai chi ou la calligraphie, suis-je condamné à être malheureux ?
N'existe-t-il pas d'autres chemins, moins exigeants, moins traditionnels pour expérimenter le bonheur ?

Re: Socrate malheureux

Posté : lun. janv. 16, 2012 7:34 am
par viator

Le yoga, la calligraphie, etc., sont juste des « voies », chère Marion, c?est à dire des possibilités qui nous sont offertes pour expérimenter plus facilement ce bonheur du corps. Mais il est bien clair que dans l?absolu, c?est à dire pour quelqu?un qui a « compris », n?importe quelle situation, n?importe quelle action du corps, même la plus ordinaire, lui fait tout naturellement expérimenter ce bonheur.

Il n?est pas indispensable en effet de passer par ces voies déjà tracées, déjà défrichées. On peut aussi tracer la sienne propre. C?est plus difficile sans doute ? en fait, tout cela dépend du caractère, de la couleur de la personnalité de chacun. Lorsqu?on suit une voie déjà tracée, la difficulté est autre : elle consiste à trouver un bon guide, ou un bon « maître ».

En quoi consiste ce bonheur, et quel est sont goût ? Il s?apparente de très près au lâcher prise, et c?est précisément ce que tentent de nous enseigner les Voies : ne plus agir, mais se laisser agir (ou pour le dire autrement, de manière plus dévotionnelle : laisser Dieu agir en nous). Mais comment faire pour laisser faire ? Pour lâcher ego qui fait, qui ne cesse de faire, d?organiser, de prendre les rennes, ne faut-il pas l'intervention d'une sorte de super ego, d?un ego au carré, qui, pour le moins, déciderait de cesser de décider ? Tout cela est aussi difficile à expliquer de manière satisfaisante pour la pensée, que facile à expérimenter pour le corps. C?est même la première chose qu?on touche du doigt dans chacune de ces voies traditionnelles : par exemple, je suis tendu dans telle posture de yoga, mais je peux me sentir tendu, sans faire de commentaire, et c?est le début du chemin vers le lâcher prise... C?est d?ailleurs la raison pour laquelle toutes ces voies ont en commun le fait que le corps y est sollicité de manière un peu plus soutenue, avec un peu plus d?exigence que dans les situations habituelles.

Re: Socrate malheureux

Posté : mar. janv. 17, 2012 12:27 pm
par domino
Que s'est-il réellement passé, en moi ou hors de moi, dans ma volonté ou dans la "Volonté de Dieu", lorsque je me retrouve en train de suivre un cours de yoga ?

Re: Socrate malheureux

Posté : mer. janv. 18, 2012 1:06 pm
par viator
Il ne se passe rien, cher Domino, rien de particulier en tout cas, rien de plus... Tout est dans le monde, et rien qui ne vienne d?ailleurs, d?une volonté souveraine par exemple (la mienne ou celle de « Dieu »). Mais la vie me place naturellement, sans que je puisse y faire grand-chose, dans telle ou telle situation. Doit-on parler de chance alors, ou de destin, de hasard, de Providence, que sais-je, qui pousse certains vers l?éveil (ou vers des cours de yoga plutôt que devant la télé) ? Gurdjieff parlait de la présence en l'homme d'un « centre magnétique », qui l'attire, progressivement mais irrésistiblement, vers l'éveil. Mais tous ne le possèdent pas au même degré de développement... Tout ce qu'on peut dire, c'est que les personnes qui s'entendent dire qu'il faut de la chance pour "y" arriver, ont déjà cette chance là, puisqu'ils ont rencontré ou lu celui qui leur en parle ! Si j'entends dire que l'homme doit avoir un centre magnétique pour accéder au Salut, c'est forcément que le mien est déjà passablement développé !?

Autrement dit : ta voie n?est peut-être pas le yoga, mais tu es sur la voie, sur l?une des nombreuses voies, et tout va bien.

Re: Socrate malheureux

Posté : mer. janv. 18, 2012 6:09 pm
par domino
Tous les chemins mènent à Rome, c?est un peu ça que tu veux dire ?